Samara affair: in the neighborhoods of Montpellier, the “reputation” of girls or life under surveillance

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Posted by ryt1820

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  1. > Des écoliers tapent le ballon sur un petit terrain de jeu en bitume. Un peu plus loin, trois garçons, plus âgés, discutent à l’entrée d’une boutique de téléphonie mobile. On les interrompt : le collège Arthur-Rimbaud ? Ils connaissent bien, l’un d’eux y était en 5e l’an dernier. Samara, l’élève de 4e originaire de la ville d’à côté, Juvignac, lynchée le 2 avril devant cet établissement ? Le même ado acquiesce : « C’est choquant. » « Ça fait de la peine, ce qui lui est arrivé », déplorent ses copains, avant de disparaître entre les immeubles aux façades défraîchies de la Paillade, dans le quartier populaire de la Mosson.
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    > À vingt minutes de tram du centre-ville de Montpellier (Hérault), aux abords du collège situé en zone d’éducation prioritaire REP +, l’histoire de Samara est encore dans toutes les têtes samedi dernier, quatre jours après la violente agression subie par la collégienne, aujourd’hui sortie du coma et de l’hôpital. Dans cette affaire, trois mineurs âgés de 14 et 15 ans, deux garçons et une fille, F., scolarisée en 3e dans le même collège et originaire de la Paillade, ont été mis en examen pour « tentative d’homicide volontaire ». « C’est une dinguerie de faire ça à une fille ! Les garçons, c’est des grands. Samara, elle fait ma taille », s’indigne Marie, élève de 5e à Arthur-Rimbaud, les yeux écarquillés du haut de son 1,65 m.
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    > **« BDH », une étiquette infamante**
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    > Mi-gênés, mi-amusés par l’attention médiatique inédite, les ados les plus loquaces donnent chacun leur version. Le motif religieux a un temps été évoqué — Samara, contrairement à F., ne porte pas le voile et s’habille « à l’européenne », a indiqué sa mère —, avant d’être balayé par les collégiens, unanimes : il s’agirait là d’une histoire de harcèlement, physique et en ligne, amplifié par les réseaux sociaux, et dont Samara était la victime depuis plus d’un an. Les premiers éléments de l’enquête vont aussi dans ce sens. Le déferlement de violences trouverait son origine dans « les invectives » entre élèves sur les réseaux sociaux, a indiqué le parquet.
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    > Pourquoi Samara a-t-elle été le bouc émissaire de certains et de F. en particulier ? « Elle s’amusait à afficher les gens sur les réseaux, à les prendre en photo », assure un élève de 3e. « Elles étaient rivales, notamment via les réseaux sociaux », déclare pour sa part l’avocat de F. Mais, parmi les explications fourre-tout des ados, une autre piste se dégage : Samara, nous explique-t-on, n’a « pas bonne réputation ». Trois expressions reviennent presque systématiquement : « fille facile », ou « BDH » (pour « bandeuse d’hommes »), « mauvaises fréquentations ».
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    > Plus de quatre ans après l’assassinat de Shaïna à Creil (Oise), traitée de « fille facile » et victime de la rumeur jusqu’à sa mort, la « réputation » est encore invoquée pour expliquer l’origine d’un harcèlement. Voire d’une vengeance mortelle : c’est aussi pour une histoire de « réputation », celle d’une mineure de 15 ans, qu’un lycéen du même âge, Shemseddine, est décédé après avoir été violemment agressé près de son collège à Viry-Châtillon (Essonne), le 4 avril.
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    > **« Ici, tout se sait, il faut faire attention à qui nous regarde »**
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    > En ce début des vacances scolaires, Nour (le prénom a été changé), élève à Arthur-Rimbaud, marche avec quatre copines dans la Paillade. Le petit groupe accepte de s’arrêter en chemin pour nous résumer l’histoire derrière l’agression de Samara. Au cœur des rumeurs figure « un compte fisha » — comprendre : un profil sur les réseaux sociaux qui diffuse des photos non consenties de personnes dans le but de les humilier —, supprimé depuis les faits. Selon des collégiens, les agresseurs s’en seraient pris à la jeune fille car ils la pensaient propriétaire du compte. D’autres, en revanche, parlent d’un « guet-apens » contre Samara manigancé par F., qui l’avait prise en grippe.
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    > Quand on demande pourquoi Samara traînait cette « mauvaise réputation », la réponse heurte par sa simplicité extrême : « Parce qu’un jour, une fille qui ne l’aimait pas en a décidé ainsi », dit Nour, en haussant les épaules. Sa copine, aujourd’hui au lycée, appuie : « Tu ne peux jamais être tranquille. Que tu sois gentil ou méchant, dans tous les cas, tu as une réputation. Et c’est comme ça dans tous les collèges. »
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    > Celui d’Arthur-Rimbaud accueille un public défavorisé, dont une bonne partie réside à la Paillade. Cette ville dans la ville, construite dans les années 1960, compte aujourd’hui 25 000 habitants, majoritairement d’origine maghrébine, dont plus de la moitié vit sous le seuil de pauvreté. La mixité sociale y fait défaut, à tel point qu’en 2021, une mère de famille a interpellé Emmanuel Macron alors en visite sur un point de deal démantelé : « Mon fils de 8 ans m’a demandé si le prénom Pierre existait vraiment ou si ce n’est que dans les livres. »
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    > « Le harcèlement lié à la réputation, ça a toujours existé. Mais, ici, s’ajoute le poids de la religion (musulmane), de la pureté des filles, et il suffit de pas grand-chose, un regard, une discussion, pour qu’une ado soit qualifiée de BDH », constate Gaëlle, éducatrice spécialisée qui travaille à la Paillade. Cette forme de surveillance est d’autant plus forte qu’elle s’inscrit dans un quartier « où les familles se connaissent ». On en fait vite le constat : lors de notre échange avec le groupe de filles, elles ne cessent de jeter des coups d’œil à droite et à gauche. « Ici, tout se sait, il faut faire attention à qui nous regarde. »
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    > **« Si t’es gentille, tu te fais écraser »**
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    > Le lynchage de Samara a mis en lumière la caisse de résonance des réseaux sociaux, capables de propulser une « réputation » sur une scène beaucoup plus large qu’un simple quartier ou l’enceinte d’une classe. Dans ce huis clos numérique, à l’écart du monde des adultes, il est question de vie ou de mort sociale. Il existe par exemple un « compte fisha » propre à la ville de Montpellier. Y figurer serait « une honte absolue ! » nous répète une lycéenne, croisée à un arrêt de tramway du quartier. « On m’a déjà fisha dans le groupe de ma classe, raconte une élève de 4e à Arthur-Rimbaud. On découpe ton visage à partir d’une photo volée et on fait des montages dégradants. Ça nous montre qu’il faut se méfier de tout, maintenant je rends les coups. » L’air résigné, elle avertit : « C’est ça la génération d’aujourd’hui : faut apprendre à pas se laisser faire. Si t’es gentille, tu te fais écraser. »
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    > Le matin du 2 avril, les bruits de couloir annonçaient que « des gars allaient taper Samara ». « Tout le monde savait, Samara aussi. » Pourtant, malgré la présence de plusieurs dizaines d’élèves, personne n’a su empêcher l’agression. « J’ai essayé ! assure la collégienne. Je suis allée la voir, je lui ai dit de faire attention, mais d’autres filles sont venues la chercher et l’ont forcée à les suivre. » Un élève de 3e, présent ce mardi-là parmi la petite foule, explique : « Si on s’interpose, ça veut dire qu’on est du côté de Samara et qu’on va aussi se faire frapper. »
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    > Les collégiens d’aujourd’hui sont pourtant bien plus sensibilisés au harcèlement scolaire que leurs aînés. L’établissement Arthur-Rimbaud est engagé dans le programme pHARe, censé prévenir et gérer les cas de harcèlement. Alors pourquoi cette absence de réaction ? « Être sensibilisé à la problématique ne signifie pas être dans l’empathie », fait remarquer Gaëlle, l’éducatrice. « À cet âge-là, on est davantage centré sur soi-même, et les réseaux accentuent ce narcissisme. » Nour avance une autre difficulté : « Le problème, c’est que le moment venu, on n’est pas aidé par l’établissement. »
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    > La mère de Samara a dénoncé l’inaction du collège Arthur-Rimbaud. Une enquête administrative est en cours. Face « à l’impact catastrophique » des réseaux sociaux sur les jeunes, Nicole Belloubet, la ministre de l’Éducation nationale, propose d’instaurer une « pause numérique » dans les collèges. À la Paillade, où les barres d’immeubles longent les voies de tram, l’accueil jeunes du quartier de la fédération sportive Ufolep 34 fait figure d’un des rares lieux de rassemblement. Son président, Henri Quatrefages, demande aujourd’hui des moyens pour « soutenir l’éducation populaire et développer des espaces bienveillants de débats ».
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